Parce que l'industrie du 7ème art n'a pas encore tué toutes poches de créativité, extraits de l'entretien que David Lynch a accordé récemment à Télérama :
Vous revenez enthousiaste avec un film qui est, sans doute, le plus libre, le plus expérimental depuis Eraserhead. Vous vous êtes refait une virginité ?
Oui, les expériences me semblent vraiment similaires. J’ai mis cinq ans à réaliser Eraserhead. A l’époque, j’étais étudiant en art, je n’avais aucune formation technique pour le cinéma et je découvrais sur le vif un nouveau support pour mes idées. Aujourd’hui, le
numérique est aussi une forme nouvelle, et quand celle-ci commence à vous parler, elle le fait d’une manière singulière et enchanteresse. Je découvre, j’avance pas à pas, comme à mes débuts. Les caméras sont différentes, la façon de filmer aussi. Rien que la possibilité de voir le résultat en direct sur l’écran vidéo pendant qu’on filme et de pouvoir réagir à l’instinct, comme lorsqu’on joue de la musique, cela bouleverse mon travail.
Cela vous permet-il non seulement de matérialiser vos idées très vite mais aussi d’improviser ?
Non, je n’ai jamais improvisé de ma vie. Chaque scène d’Inland Empire est écrite. Mais j’ai pu avancer en expérimentant. Aussitôt après avoir écrit une scène, je rassemblais quelques personnes, acteurs et techniciens et nous partions tourner en comité réduit sans savoir ce qui adviendrait, sans avoir nécessairement la structure du film en tête. Avec le numérique, on n’est plus limité par le temps, ni par le coût de la pellicule. Vis-à-vis des acteurs, il est possible de travailler sans avoir à dire « Coupez ! », de découvrir la zone secrète qui n’apparaît qu’au bout d’un certain temps. Quand il fallait recharger la caméra et attendre une heure entre les prises, cette grâce menaçait toujours de faner ou de s’évanouir.
Pour Inland Empire, vous avez tout filmé vous-même ?
Oui, pour la première fois, j’ai tenu la caméra. C’est une tout autre expérience que de travailler avec un chef opérateur. Sur un tournage traditionnel, il y a toujours une distance qu’on ne peut pas franchir : si on veut corriger un détail ou changer de direction sur le vif, on n’en a pas la possibilité. Avec la caméra en main, je sens le film, je peux avancer au feeling. Dans ma carrière, il m’est arrivé de filmer des scènes, mais en général on ne me laisse que la seconde caméra. Dès les premiers jours du tournage d’Eraserhead, je me suis retrouvé en retrait… (Il réfléchit.) Non, finalement, je ne crois pas qu’il y ait une seule scène dans aucun de mes films qui soit de ma main.
Vos admirateurs sont attachés à la luxuriance de vos images, et pendant longtemps vous avez dit que la définition du numérique ne vous semblait pas assez précise, pas assez riche…
C’est une image beaucoup plus belle que ce que je pouvais imaginer à l’époque. Pour moi, elle évoque les premiers films en 35 millimètres, ceux du muet. Avec des zones obscures, mal définies, un peu comme sur un Polaroid. Quand on ne distingue pas tout, ça laisse de la place au rêve. En numérique, cette imperfection, on n’appelle pas ça le grain, mais le « bruit ». Dans cette obscurité, il y a beaucoup de « bruits », des choses étranges avec lesquelles on peut flirter de plus près.
Comment êtes-vous devenu cinéaste, alors ?
Je me trouvais dans une pièce de la Pennsylvania Academy of the arts, un immense studio où j’étais seul. Le décor était superbe, tous les étudiants y avaient fait leur propre installation. Moi, je ne m’y rendais pas souvent, je peignais chez moi. Et ce jour-là, j’étais venu travailler sur une toile représentant un jardin la nuit, une toile essentiellement noire, avec une forme verte sortant de l’obscurité. J’ai entendu du vent, tout a commencé à bouger, et je me suis dit qu’inventer une toile animée serait merveilleux. Je me suis demandé comment y parvenir et, en vue du concours de fin d’année, j’ai acheté une caméra 16 millimètres. J’ai fixé une toile sur un radiateur : c’était mon idée d’un écran sculpté, où je projetais des images. Les autres étudiants m’ont laissé éteindre la lumière pour présenter mon travail. Il est resté exposé un bon moment, la pellicule était vraiment rayée, ce qui en reste aujourd’hui est extrêmement abîmé. Tout cela m’a coûté beaucoup trop cher, mais j’ai commencé à tomber amoureux du film.
INLAND EMPIRE - sortie France le 07 février 2007
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